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Oulan-Oudé le 28 octobre 2007

Chez les vieux croyants
 
Atelier musique à Tarbagataï
 
Coucou à l'école St Exupery
 

La rencontre du 14 octobre dernier à Tarbagataï avec la communauté des Vieux-Croyants (tous croyants, pas tous vieux, descendants des russes  orthodoxes expatriés en Sibérie après la réforme de cette religion qui entraîna le schisme de 1652 ) s’est déroulée de façon assez officielle puisque c’est Victor (travaillant à la section de « théâtre et arts de la scène » à l’Académie) qui nous a introduit auprès des responsables du centre culturel où se déroulaient les manifestations.
Cette journée d’octobre est censée marquer dans la communauté le début de l’hiver ; mais pour l’heure il fait un grand soleil et le village de Tarbagataï (2000 habitants environ) offre au regard de magnifiques maisons, certaines vieilles de trois cents ans. L’après-midi commence par le spectacle du chœur des femmes dans le centre culturel, sorte de petit sanctuaire de la culture « semieskie »,où chaque photo, chaque article de journal  et chaque icône ou livre de prières est conservé sous verre telle une relique) ; puis la famille Kazamaroffs débarque avec ses objets sauvages au milieu des samovars et des napperons de dentelle si parfaitement rangés. Tout le monde s’amuse bien, nous comme le public ; puis après le spectacle,  c’est l’atelier musique qui dure une heure et demie, avec travail de rythmes et de chansons avec les enfants et fabrication de quelques maracas. Dans la salle d’à côté, nos enfants s’essaient à l’art de la pâte à sel et des cartes en papier décoré. Toutes les animations du monde offrent aux enfants les secrets de réalisation de ces petits trésors qui laissent sur nos mains des traces de colle et de feutres de couleur ; donc, les mains bien au fond de mes poches, je rattrape dare-dare le groupe des visiteurs pour une promenade à travers le village : le musée est situé dans un ancien baptistère et le guide n’est autre que le pope ; sa grande robe, sa barbe, ses cheveux longs attachés en chignon sous sa toque attirent la curiosité  tout autant que le fouillis d’objets hétéroclites rassemblés dans l’endroit. Puis on fait un petit tour à l’église ; et le dernier arrêt nous conduit au restaurant où nous allons passer quelques heures ensemble  visiteurs et  responsables du centre (nous sommes une trentaine de personnes en tout ; n’oublions pas notre fidèle traductrice, Katia, étudiante en français et qui est de sortie régulièrement avec nous).
De nombreux mets tout aussi délicieux les uns que les autres nous attendent (ô poissons fumés et concombres marinés ; bouillies parfumées aux fruits secs, soupes et petits pâtés salés et sucrés, nos palais émerveillés vous ont grand ouvert leurs portes !) ; autant de plats, autant de toasts et entre deux dégustations, nous levons notre verre, à la santé, la prospérité, aux remerciements multiples que les convives n’en finissent pas de s’adresser. Katia ne traduit plus toutes ces formules d’usage mais nous retenons quelques moments émouvants lorsqu’une femme évoque l’absence de sa fille, partie depuis longtemps aux Etats-Unis, ou cette autre qui nous dédie son discours. Difficile de rester lucide après tous les toasts, mais j’en ai vu plus d’un se débrouiller pour ne pas vider son verre à chaque fois, ou bien verser à la place de la vodka , discrètement, de l’eau, histoire de ne pas avoir à s’appuyer trop au rebord de la table quand vient son tour de parler …Je m’en suis sortie ainsi en quelques phrases (ce qui arrangeait Katia également) et ça a eu l’air de satisfaire tout le monde.

         

Le plus grand lac du monde
 
A 50 m du lac Baïkal
 
Début de la glaçiation
 
Quelques jours plus tard, Anatoli et Oleg nous entraînent cette fois-ci au bord du lac Baïkal, à Soukhaya, petit village situé à trois heures de route environ au nord d’Oulan-Oudé, l’endroit où nous aurions dû installer notre yourte l’été dernier si le ministre de la culture de Bouriatie s’était penché d’un peu plus près sur nos visas avant de partir en vacances…peut-être au bord du lac Baïkal aussi d’ailleurs ?
Et même si le vent siffle ce jour-là un air bien maussade et glacé à nos oreilles, tout nous donne envie de revenir se perdre ici un jour. Salle pleine et chaleureuse lors du spectacle ; toujours une visite dans l’inévitable « musée » du village (photos de pêcheurs, brodequins de cuir, barattes et meules à grain, un gramophone, la maquette en bois d’une isba, la longue et triste liste des victimes de 41-45) ; et l’incontournable  bibliothèque, sorte d’annexe du musée, à moins que ce ne soit l’inverse…au milieu des livres de tous âges, traîne là aussi la mémoire des lieux, en vrac, à remettre en état, un jour peut-être ; si bien qu’on s’amuse bien plus ici à découvrir les « trésors du capitaine » que dans des musées où les bonnes étiquettes sont en face des bons tableaux.
Nous dormons chez Nenamtsia et Guenadine, un couple de paysans aux petits soins avec nous ; Nenamtsia nous offre d’abord de la soupe aux pommes de terre et sterlet, du poisson cru , des tomates et du pain noir ; notre chambre c’est une  pièce avec trois lits, un énorme poêle central à briques réfractaires que Nenamtsia viendra elle-même fermer le soir et  vérifier l’absence d’émanations de carbone ; sur le feu, la réserve d’eau, la théière et accroché au mur le petit lavabo, modèle de robinetterie unique, moitié fer-blanc, moitié bouleau.
Le lendemain matin, le camion a eu un peu froid dans la cour  mais pas nous ! Tandis que le vent continue de souffler, Anatoli et Oleg nous emmènent goûter aux bains (de nombreuses sources d’eau chaude affleurent autour du lac) dans le campement d’été, vide en ce moment. Le bâtiment n’est pas chauffé mais le bassin est très chaud et très grand ; entièrement pour nous ! On ne reste pas plus d’un quart d’heure, puis on file boire un thé chez Kim, le gardien des lieux ; Kim vit dans un petit nid douillet, au milieu de cette solitude d’automne et d’hiver. Son cœur fond à la vue de nos enfants et nous attendrit en  retour ; c’est difficile d’imaginer le goût sauvage et dur de la vie dans ces villages au bord du lac et ailleurs plus au nord où il y a encore quelques endroits habités…mais ce sont des endroits grandioses qu’on ne peut pas oublier, ni ceux qui leur donnent une âme.
         

Chez Kim
 
Kim gardien des bains
 
A bientôt Poka
 
Nous sommes à trois heures de route d’ Oulan-Oudé ; avec Anatoli et Oleg il faudra compter un peu plus . D’abord, comme à l’aller, les arrêts « chamaniques » : à certains endroits précis (abri, rocher, arbre), il faut s’arrêter et faire une offrande : une piécette, ou du liquide (eau, thé, lait, alcool) que l’on asperge autour de soi pour se prémunir contre les ennuis en voyage…Ce n’est tout simplement pas la peine de discuter sur ce point avec Anatoli et Oleg ; après tout, ces pauses obligatoires permettent de sortir admirer le paysage ou de …soulager une envie pressante ! Si l’on ramasse un caillou, du sable (pour toi  Audrey !), là aussi on jette une petite pièce.
Ensuite, on s’arrête négocier l’achat de deux beaux poissons chez des « flibustiers », ainsi que les appelle élégamment Oleg ; ce sont des pêcheurs sans permis, et vu l’état de leur maison, leur petit commerce ne dépasse certainement pas les limites du raisonnable. L’arrêt « flibustier » nous a pris encore une demi-heure. Puis, direction le village suivant, Oïmour, car il ne faut pas manquer, paraît-il, d’y acheter du pain, « le meilleur de toute la Bouriatie »  et c’est vrai ! Nous dégustons l’excellent pain encore chaud dans le camion, alors qu’il commence à neiger et qu’Anatoli a filé chez le patron de l’usine de pêche ; il en revient en compagnie de l’homme en question, qui nous offre encore et toujours du poisson (omouls salés, frais ou fumés) qui accompagnent parfaitement le pain. Après quelques minutes, il est décidé que nous reviendrons en novembre jouer dans l’école du village. Davaï !
Vient ensuite l’arrêt et l’attente au bac de la Selenga, qui depuis 70 ans faisait traverser les véhicules ; « faisait », car un pont tout neuf est ouvert à la circulation depuis notre passage et nous avons été dans les derniers usagers du bac. Ainsi, il n’y aura plus rien à dire sur ses conducteurs et manœuvres, ses vendeuses de baies et de graines de tournesol, son abri tout rouillé et ses passagers descendus des bus, qui pour quelques minutes se mettaient à rêvasser sur le pont…
Comme d’autres citoyens de Bouriatie (et notamment chez les écrivains et hommes de théâtre) Anatoli se préoccupe de l’avenir du lac Baïkal, menacé par la construction d’infra-structures logistiques ou touristiques, et surtout par la présence d’une usine à papier située sur ses berges. Afin de tenter d’enrayer un processus de pollution irréversible de la dernière réserve d’eau potable de notre planète, nous faisons donc un  dernier arrêt « écologique » (RV d’Anatoli avec des autorités locales à Briansk) avant de rentrer à Oulan-Oudé.
         

Cendrier au pied d'un immeuble
 
Dans trois jours le bac s'arrête
 
des Flibustiers
         
 
Abrit Chamanique
 
Entre Tarbagataï et Oulan Oude
 
 

Lundi dernier (22 octobre) c’est Marina, professeur de français à l’institut des langues étrangères,qui nous accompagne pour la rencontre à l’école n° 52 de la ville, dans le Melkombinat (le « combinat du sable »), quartier pas très riche de la ville . C’est l’une des écoles où le français continue d’être enseigné à raison de deux à trois heures par semaine, de 7 à 17 ans . Les professeurs de français nous accueillent à bras ouverts ainsi que la directrice (elle-même enseignant également le français), et le spectacle que toutes les classes ont préparé à notre intention (saynètes, contes, chansons, poésies, tout en français bien sûr) nous touche beaucoup. Les professeurs de cette école furent les premières étudiantes de Bouriatie diplômées en langue française ; leur passion et les difficultés pour joindre les deux bouts avec des retraites minuscules, les poussent à continuer de travailler au sein de leur établissement. La directrice s’exclame avec toute cette émotion dont les Russes sont capables: « Voilà 40 ans que je suis sortie de l’université , et je comprends tout, absolument tout ce que vous dites ! » Elles ne sont pas enchantées, elles sont aux anges ; cette fête dure pendant deux heures et déjà on essaie de réfléchir à nos prochains rendez-vous (une date sûre en décembre) ; nous voulons revenir jouer pour eux mais aussi leur préparer des livres, des CD ; vous pouvez vous aussi nous aider si vous voulez !

Encore un musée que nous sommes allés voir de notre propre initiative cette fois-ci : le musée ethnographique, dans un grand parc, qui présente des reconstitutions d’habitats traditionnels très intéressantes : quartier « cosaque », quartier « bouriate », tipis des ethnies évenks ou aginsk, en bois et écorces aplaties (les habitants préhistoriques de la région seraient les ancêtres des indiens d’Amérique du nord,  une migration ayant peut-être eu lieu passant par la terre ferme à l’emplacement actuel du détroit de Béring) ; la tente du chamane, recouverte de fourrures, et dont le sol est jonché de pièces jetées par les visiteurs, a beaucoup plu aux enfants ;sans nos explications et notre interdiction de toucher,ils n’auraient pas hésité un instant à se remplir les poches ! Seule ombre à la visite : le zoo est rempli d’animaux de Sibérie (loups, renards, félins, cervidés, rapaces, ours) qui tournent désespérément en rond dans leurs cages en général minuscules .

         

La directrice et les professeurs de Français
 
Biblkiothèque ou musée
 
La première neige
 

Depuis cette semaine, les sujets de conversation tournent autour de la constitution des réserves pour l’hiver ; aux carrefours, devant les magasins, on vend les choux du jardin. Les petites bicoques (comme en Ukraine, on y vend de tout) sont ouvertes mais il faut frapper à la lucarne pour se faire servir car les propriétaires évitent les courants d’air.
Anatoli, homme de théâtre et de terrain comme on a déjà pu le constater, fait avec nous ses comptes de patates, carottes, choux et betteraves (le camion est très utile pour ramener tout ça de la campagne) ; à chaque aller-retour on se partage la livraison entre amis ; demain c’est le rendez-vous spécial pour apprendre à préparer les conserves de légumes en marinade , qui ensuite resteront congelés jusqu’à fin mars sur les balcons, ici tout le monde fait comme ça. Pour les patates, des coffres en bois (avec cadenas !) sont installés dans les cages d’escalier en face de chaque logement, pratique non ?

Au menu culturellement c’est plus léger que ça, et on espère une mise en route assez prochaine de nos échanges avec différentes structures sur la ville ; en novembre nous devrions jouer pour la prison et pour un centre qui accueille des personnes handicapées. Pour l’instant nous avons trouvé un job les vendredis et samedis soirs , dans un restaurant qui se veut « à l’occidentale », dont le patron  est un   portrait-type de l’homme d’affaires chinois des séries télévisées américaines ; d’ailleurs le fond de scène n’est autre qu’un immense poster des Twin Towers , collé avant le 11 septembre, ça devait coûter un peu cher de tout remplacer… nous jouons donc, Gérard et moi, devant les Tours, lui en chemise argent, moi ayant trouvé un chemisier imitant parfaitement les cascades de frous-frous des rideaux moirés de la salle ; expérience assez amusante et qui nous permet malgré tout , en nous rapportant un peu d’argent, d’entretenir un tant soit peu le travail.
Finalement, on n’a pas vu passer ce premier mois,  entre l’école le matin pour les enfants, les activités de ces derniers à la « maison des pionniers », les aller-retours avec Angèle chez sa « nia-nia », et la rédaction de nos propositions d’échange ; espérons que nous passerons à une phase de réalisation bientôt !

 
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